Brennilis


La sortie du nouveau film de Brigitte Chevet « Les voleurs de feu » nous donne l’occasion de rappeler que cette réalisatrice rennaise engagée réalisa en 2008 le remarquable documentaire :

« Brennilis, la centrale qui ne voulait pas s’éteindre » témoignage  unique de l’histoire en cours depuis 30 ans d’un démantèlement chaotique et des luttes qui l’accompagnèrent.

C’est l’occasion d’un petit rappel historique :

Les Bretons ont gagné la bataille de Plogoff contre l’envahisseur nucléaire, c’est bien connu.

Promesse in extremis du candidat Mitterrand, à la veille du 2ème tour des présidentielle de 1981, et tenue par le président.

Las ! Une fois élu le nouveau président renie tous ses autres engagements : ni moratoire, ni vaste débat démocratique, ni referendum, pas même une petite consultation du Parlement. Pendant ses 2 mandats, Mitterrand aura à cœur de poursuivre l’œuvre sinistre de ses prédécesseurs… ailleurs qu’en Bretagne. De 1981 à 1994, 12 réacteurs seront mis en chantier, et 39 mis en service (les 2/3 du parc électronucléaire français, ce qui vaudra à Mitterrand un vibrant hommage de Sarkozy en pleine campagne présidentielle en avril 2012).  

Les victoires ont quelquefois un goût amer…

Les Bretons n’ont pas voulu de Plogoff ?

Qu’à cela ne tienne, on leur fera boire Brennilis jusqu’à la lie.

Brennilis : petit village isolé au cœur des monts d’Arrée, au pied du Mont St Michel de Brasparts, au bord d’un lac artificiel dont la construction à des fins de production hydroélectrique suscita en 1935 une forte opposition locale, l’ennoiement des terres et des tourbières privant de leurs moyens de subsistance les familles paysannes qui les exploitaient. Mais le temps des ZAD n’était pas venu.

En 1962, EDF et le CEA choisissent le site de Brennilis pour y construire un réacteur nucléaire expérimental, joliment appelé EL4, EL comme « eau lourde », ce réacteur utilisant l’eau lourde comme modérateur de neutron pour optimiser la fission nucléaire (1).

Pourquoi ce site ? la retenue de St Michel fournira l’eau de refroidissement, le sous-sol granitique est costaud (2), la main d’œuvre réputée travailleuse…, et l’actualité n’est plus à l’exploitation de la tourbe mais à la désertification des campagnes : le projet est accueilli avec satisfaction par la majorité des habitants.

Mais de sa mise en service en 1967, jusqu’à sa mise à l’arrêt définitif en 1985, ce réacteur connaîtra bien des déboires (y compris 2 attentats). Pendant ses 18 années d’exploitation, il fonctionnera l’équivalent de 12 années.

Mais l’histoire ne s’arrête pas là, car la population et les élus exigent désormais le « retour à l’herbe » du site.

EDF s’est donc engagée dans un programme de « démantèlement total », avec l’objectif de faire de ce chantier une vitrine du savoir-faire français.

30 ans plus tard :

Confronté à de multiples obstacles, dont certains toujours insurmontés, contesté par les associations locales, qui ont dénoncé les risques sanitaires pour les travailleurs et l’absence de solution satisfaisante pour les déchets engendrés – et qui ont obtenu gain de cause devant la justice –, le chantier avance de façon chaotique.

Avec la reprise du chantier du centre de stockage des déchets ICEDA du Bugey dans l’Ain, et sa mise en service prévue pour 2017, le démantèlement « partiel » a repris, et doit s’achever en 2018.

Un nouveau dossier de démantèlement « total » (intégrant le démantèlement du bloc réacteur, qui concentre 90 % de la radioactivité) doit être déposé par EDF avant le… 18 juillet 2018.

La fin de l’histoire n’est pas pour demain…

Quid du coût ?

Le « tout petit réacteur » de Brennilis avait une puissance de 70 MWe (puissance électrique).

En 2005 la Cour des comptes estimait le coût du démantèlement à 482 M€ (millions d’euros).

Des actualisations successives conduisent aujourd’hui à une estimation basse de l’ordre de 700 M€ (soit le triple du coût de la construction du réacteur).
EDF aurait annoncé récemment la fin de sa communication sur les coûts… Il est vrai que la phase la plus critique du démantèlement n’ayant pas commencé, EDF a bien raison d’anticiper les inéluctables prochains déboires.

Quant au parc nucléaire français actuel, il comporte 58 réacteurs de 900 à 1450 MWe pour un total de 63 GWe, soit 900 fois Brennilis.(3)

EDF dit avoir provisionné 20 Md€ (milliards d’euros) pour le démantèlement de ces 58 réacteurs, soit une moyenne de 340 M€ /réacteur (la moitié du coût estimé à ce jour pour le « tout petit réacteur » de Brennilis).

Pendant ce temps, le Royaume-Uni prévoit un coût de 103 Md€ pour 35 réacteurs, soit en moyenne 3 Md€ /réacteur, et la Suisse 17 Md€ pour 5 réacteurs soit 3,4 Md€ /réacteur (10 fois plus, donc, que l’estimation d’EDF). Une chose est sûre : quelqu’un se trompe.

Et voilà qu’EDF vient d’annoncer vouloir repousser au siècle prochain le démantèlement de ses réacteurs. Mais il paraît que c’est par prudence technologique (attente de retours d’expériences…) et non budgétaire. Qui est dupe ?

L’herbe attendra.

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On peut lire également :

http://www.sortirdunucleairecornouaille.org/spip.php?rubrique2

http://seaus.free.fr/spip.php?article171

http://7seizh.info/2015/03/19/brennilis-demantelement-coute-que-coute/

http://plogoff-chronique-de-la-lutte.over-blog.com/2014/11/nucleaire-les-promesses-oubliees-de-francois-mitterrand.html

Et aussi : La centrale indémontable de Claude-Marie Vadrot (2012)

En BD : L’Ankou album de la mémorable série Spirou et Fantasio de Fournier  (T27 – 1977)

Enfin en DVD : Centrales nucléaires, démantèlement impossible ? de Bernard Nicolas  Arte 2013 (67′)